Le cimetière.
Drôle d’endroit pour le renouveau, me direz-vous, pourtant, je vous rassure et il ne s’agit pas du grand tilleul qui bourgeonne, ni des récents venus dont les tombes s’alignent près de celle de mon épouse.
Elle m’a quitté voilà deux ans, deux ans de solitude amère bien que mes filles s’occupent encore de moi, bien que mon fils depuis son Australie ait encore quelques soucis de moi et me téléphone régulièrement me priant de venir rencontrer sa nouvelle dulcinée et le futur petit fils qui naîtra dans deux mois. Coquin de fils, trois femmes plus tard et bientôt quatre enfant avec ce bébé à quarante ans et des poussières. Je n’ai jamais compris l’instabilité d’Antoine, ses voyages, ses passions, pourtant ma femme et moi étions un couple uni et tranquille. J’étais heureux auprès de Madeleine, elle était simple, joyeuse et savait tenir une maison et même si elle ne parlait pas beaucoup, j’étais bien à ses côtés. Sa maladie puis sa mort m’ont terrassé, j’étais si démuni devant sa souffrance, si terriblement démuni.
Mais ce jour-là au cimetière, j’ai senti poindre en moi comme un possible dans le regard d’une dame.
C’est elle qui m’a reconnu la première. Trois tombes plus loin, elle déposait des fleurs sur celle de sa mère. Elle s’est approchée de moi, m’a souri et dans ce sourire j’avais quinze ans.
-Jean-Loup Lauzier ! Est-ce vous ?
Je me suis retourné et la première chose que j’ai remarqué ce sont les cheveux argentés, puis la silhouette noueuse et puis les yeux… Ah ! Ses yeux couleur pervenche ! Comment les aurais-je oubliés ?
Adrienne ! Je l’ai connue sur les bancs du lycée. Il y a si longtemps !
Elle était la plus belle fille du canton, convoitée par tous mes copains. A l’époque, filles et garçons étions encore séparés par des grilles, mais dès la sortie des classes nous nous précipitions vers les grandes portes de l’école des filles.
Elle m’avait accordé quelques danses dans les bals, elle m’avait accordé un baiser, nous nous promenions main dans la main très sagement. Elle avait disparu un jour sans prévenir, plus personne n’avait de ses nouvelles, pas même son amie Marie-Thérèse. Envolée sans laisser de signes.
Je suis soudain bien bouleversé et lui demande comme si c’était hier où avait-elle disparu ?
Elle a ri et son rire est le même, clair, chantant et tourneboulant.
Mais nous n’avons plus quinze ans, les soixante-dix approchent à grands pas et si je me redresse devant ces souvenirs, je vois ma main fanée se tendre vers la sienne comme un soupir.
Nous sommes sortis ensemble du cimetière, elle est venue prendre un thé à la maison, nous avons parlé longtemps et quand le soir est tombé, je l’ai raccompagnée jusqu’à l’appartement de sa mère décédée depuis peu à l’âge canonique de quatre-vingt seize ans. Ah ! S’il nous en est donné encore autant… pensée fugitive devant ce sourire toujours aussi séduisant. Bien sûr, nous avons vieilli… Vraiment ?
Elle n’avait pu prévenir personne, des vacances à la mer, ses parents accidentés, on l’avait confiée à une tante près de Bordeaux. Elle avait pourtant écrit à Marie-Thérèse, mais bien plus tard car son père était mort dans l’accident. Sa mère avait trouvé du travail là-bas et n’était revenue ici qu’à sa retraite. Ensuite la vie… Elle était devenue médecin comme son époux, avait divorcé et s’occupait des petits-enfants comme toute grand-mère gâteau qu’elle était.
Elle allait rester quelques temps, elle devait s’occuper de déménager l’appartement maternel.
Combien de temps ?
Elle m’a regardé avec tendresse. J’ai comme un réveil là, au cœur.
Je viens de passer devant la psyché de Madeleine… tristesse soudaine. Je suis un vieux bonhomme, le cheveu blanc, le dos un peu courbé, le ventre mou et rond. Un vieux bonhomme qui rêve… et pourtant… ce frémissement entre nous, cette complicité…
Elle vient déjeuner demain.
Oh ! Oui ! Je me sens comme ce jouvenceau d’antan, tout neuf d’un battement qui m’étonne. Un renouveau soudain dans ce temps rétréci vient d’ouvrir un peu d’avenir.
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